CHAPITRE IV
Ils étaient à nouveau tous les trois dans le poste. La Barge en était à sa sixième révolution autour de la petite planète.
Ael était descendu assez bas pour qu’ils aient une vue distincte du sol. Une végétation assez rare et rase. Essentiellement ce qui paraissait être de petits arbustes. Deux immenses océans et une grande mer intérieure. Le reste de la planète paraissait composé d’un désert de sable, hormis quelques régions proches de la mer intérieure qui révélaient un faible relief. Visiblement avec la quantité de sable, ici, la silice abondait.
— Allez, on descend, se décida Ael. J’ai envie d’un bain. La mer, enfin un océan, ça vous va ?
— Où tu veux, fit Michelli, excité. La mer, tiens.
Il y avait longtemps que le penchant des hommes pour l’eau était devenu un luxe exorbitant, hormis les planètes de pionniers. Bien sûr, on avait construit des rivages artificiels, sous dômes, sur les planètes industrialisées, avec du sable, une eau bleue et une grande chaleur. Mais ce n’était qu’une illusion artificielle, un pis-aller dont les humains se contentaient avec peine. Tout le monde rêvait d’une vraie plage, d’une eau salée, qu’ils n’avaient jamais vues de leur vivant, depuis des millénaires – depuis la Grande Expansion – si ce n’est dans les fictions, à la holo. Et ils faisaient une fixation sur ces paysages. Le manque devait correspondre à quelque chose dans leurs gènes… Des Compagnies de tourisme avaient organisé des séjours vers des planètes des Confins de la Galaxie, mais ils coûtaient une telle fortune que ça n’avait finalement pas marché, commercialement.
Cette fois, Ael ralentit fortement leur vitesse et sélectionna la mise sous tension des plaques anti-G. La descente en atmosphère se fit sans la moindre difficulté et la Barge vint effleurer le sol, sur une petite hauteur à cent mètres de la mer intérieure, à proximité d’une vague colline couverte de rochers.
Au tableau, les sondeurs chimiques étaient tous au vert, ils pouvaient respirer cet air-là.
Les Props stoppés, ils furent paradoxalement assourdis par la qualité du silence… même si le bruit des Props, en fonctionnement normal, ne produisait qu’un bourdonnement. Ael abaissa la rampe arrière depuis le poste et ils s’y rendirent rapidement.
Il faisait vraiment très chaud, dehors, mais ils avaient connu pire sur d’autres planètes torrides. Le ciel semblait hésiter entre un bleu très dense et un vert foncé. En tout cas, il était très beau. Ils se dirigèrent vers la mer.
Le premier, Michelli, commença à enlever sa combinaison, laissant apparaître sa musculature impressionnante. Ael l’avait suivi, en même temps que Katel. Dans l’armée, les vieilles pudeurs avaient disparu. Ce fut tout juste si les deux hommes remarquèrent qu’elle avait un corps musclé, harmonieusement, sans les déformations que provoque souvent un entraînement physique intense. Elle avait une musculature longue, avec des fibres serrées, denses, qui indiquent souvent des réflexes rapides, des coups plus secs que puissants, des coups de puncheurs qui mettent KO.
Un peu comme Ael, d’ailleurs. Si ce n’est qu’il avait torturé son corps si longtemps, pendant toutes ces années, que ses muscles, à lui, se voyaient beaucoup plus nettement. Néanmoins, Katel était incontestablement une athlète, elle aussi. Ils remarquèrent à peine ses seins ronds, pas très gros, comme c’est souvent le cas chez les athlètes, sa taille fine et ses longues jambes. Elle avait vraiment un joli corps. Et c’était une vraie blonde !
Ils se ruèrent vers l’eau et ce fut l’un des meilleurs moment des dernières années, pour chacun d’eux ! L’eau était tiède, assez salée…
Ils y restèrent plus de trois heures, revenant se sécher au soleil, sur la plage dont le sable était d’une finesse et d’une blancheur qui faisait presque mal aux yeux.
— Vous vous rendez compte qu’on est les découvreurs de cette planète, dit soudain Michelli en se redressant sur un coude. Ça veut dire qu’elle nous appartient, non ?
Ael rit silencieusement.
— Eh, l’homme d’affaires, tu comptes en tirer beaucoup de Ters ? Tu vois quelque chose qui vaille la peine d’être vendu ? Du sable partout, donc pas d’élevage ni de cultures. Pas de massifs montagneux, donc pas de minerais. Découvreurs, peut-être, mais on ne fait pas forcément une bonne affaire.
— Je ne connais rien à ces histoires de découvreurs, demanda Katel. Ça signifie quoi, précisément ?
— Quelqu’un qui tombe sur une planète non répertoriée en devient légalement le “découvreur.” C’est-à-dire, une sorte de propriétaire. Les richesses naturelles lui appartiennent en propre pour 99 ans, qu’il les exploite lui-même ou qu’il les fasse exploiter par des Compagnies minières. Et si une Fédération s’y intéresse, elle doit en faire un Protectorat pour se l’attribuer définitivement et y construire des installations, quelles qu’elles soient. Et elle doit payer une redevance au Découvreur. Il y a des gars, parait-il, qui ont fait fortune, les siècles passés, en découvrant des planètes sans aucun intérêt économique mais stratégiquement bien placées. Je ne vois pas en quoi celle-ci aurait une valeur stratégique, dans cet amas… !
Le soleil commençait à baisser sur l’horizon quand Michelli dit :
— J’ai un peu abusé du soleil ; je rentre à la Barge.
— Moi aussi, fit Katel en enfilant sa combinaison. La fatigue tombe.
Resté seul, Ael regarda autour de lui et ses yeux s’attardèrent sur la colline rocheuse. Il eut envie d’aller jusque-là et enfila son bas de combinaison, lui aussi, et ses bottes.
Le temps d’y arriver, il était en sueur, malgré l’heure. Il commença à la gravir d’un pas régulier, comme à l’entraînement. Il était à mi-hauteur quand son regard tomba sur une tache de couleur sur le sol. Il se pencha machinalement et dégagea avant de ramasser ce qui ressemblait à une rose des sables, une masse de conglomérat minéral comme on en trouvait sur les planètes chaudes. Si ce n’est que celle-ci était translucide !
Les arêtes, parallèles, de celle-ci étaient plus relevées, plus vives, presque tranchantes, séparées, comme des crêtes rocheuses. En réalité, c’était une variété de cristal. Il était d’un rouge foncé avec des reflets magnifiques, au soleil. Et d’une pureté si exceptionnelle qu’il le mit dans une large poche de sa combin’.
Continuant à progresser vers le sommet, il s’aperçut que le sol recelait un certain nombre de cristaux. Certains paraissaient énormes, mesurant près de dix centimètres de hauteur et il en ramassa de nouveaux.
C’est plus loin qu’il tomba en arrêt en apercevant un cristal, mais celui-ci était d’un vert pâle ! En le plaçant devant les rayons du soleil, on ne découvrait aucun défaut ! Une merveille. Cette fois, il n’avança plus qu’en regardant le sol. Il ramassa encore une huitaine de cristaux vert et trois gros rouge, certains, les plus gros, écarlates.
Il songea que sur une planète contenant autant de sable, la silice devait abonder et, d’une manière ou d’une autre, avait formé ces cristaux, au fil des millénaires. Ses connaissances en minéralogie étaient assez limitées.
Au sommet, il s’assit pour regarder le paysage. Après trois mois dans l’amas, il ne se rassasiait pas de voir autant de lumière…
Il laissait ses doigts fouiller le sable, près de lui, quand il sentit quelque chose de dur. Il baissa les yeux. Un nouveau cristal, de plus petite taille : pas plus de cinq centimètres de hauteur, plus large que les autres et avec beaucoup plus de crêtes. Mais le plus stupéfiant était sa couleur. Il était transparent, comme un diamant, au point que l’on voyait presque au travers ! Et les rayons du soleil se partageaient en plusieurs spectres parfaits, divergents, selon les arêtes.
Il regarda à nouveau le sol autour de lui sans en apercevoir d’autres. Ce cristal-là avait été enfoncé dans le sable. Il se redressa et commença à racler le sol de ses bottes mais n’en vit aucun autre.
Le soir tombait, maintenant ; il enfouit sa récolte dans une autre poche et se dirigea vers la Barge.
La porte latérale était ouverte et il pénétra, la refermant derrière lui pour garder la fraîcheur dans l’engin. Il alla au carré et fut étonné de ne voir personne. Sa récolte lui pesait et il vida ses poches, posant les cristaux sur la table. Puis il se dirigea vers la chambre de Michelli et le vit, toujours en combinaison, affalé sur son lit, donnant comme un sonneur.
À tout hasard, il alla frapper à la porte de Katel et, ne recevant pas de réponse, l’ouvrit. Elle aussi dormait, habillée. Il fut un peu surpris. Lui ne ressentait aucune fatigue. Et même après pas loin de trois mois dans l’espace, les efforts d’une après-midi à se baigner n’étaient pas grands, avec leur condition physique. Pour passer le temps, il se dirigea vers le poste et recommença à examiner la carte de l’amas et des secteurs suivants.
Apparemment, la Spatiale avait fait des relevés complets de ces régions des Confins mais avait dû contourner largement l’amas sans y procéder à des mesures. En fait, il supposait que la traversée s’était faite en Temps Relatif et que le bâtiment avait émergé largement derrière l’amas, ce qui expliquait le manque de précisions et l’absence de la faille, sur les cartes.
En mesurant la largeur de l’amas, il réalisa que sa plus grande partie devait se trouver sur l’autre bord de cette immense fer à cheval. En presque trois mois de traversée, à la vitesse à laquelle ils avançaient, ils n’avaient pas dû faire tellement de chemin. Or, d’après la carte, c’était une masse immense de la taille d’une belle constellation. Ils avaient eu une chance fabuleuse en choisissant le cap ! Et surtout de tomber sur cette faille. Parce que, désormais, il leur suffirait de sortir du fer à cheval pour retrouver des étoiles répertoriées et recaler leur Directeur de vol avant de plonger, en Temps Relatif, vers le Monde.
Machinalement, il regarda son dateur universel et réalisa qu’il était dix heures du soir. Il avait une faim à dévorer deux plats et s’étonna que Michelli ne se soit pas manifesté. Il descendit et le retrouva dans la même position, sur sa couchette magnétique.
Là, il y avait quelque chose d’anormal… Il retourna a la chambre de Katel pour la trouver, elle aussi, en train de dormir. En une seconde, le Chef de Groupe remonta à la surface. Il pénétra dans la chambre et prit Katel par les épaules la secouant d’abord légèrement puis plus fort, pour la réveiller.
En vain, elle continuait à dormir…
Il la souleva alors et la porta au bloc d’hygiène et la déposa sur le sol en commandant la pulvérisation d’eau. Il fut rapidement trempé, observant Katel qui ne réagissait pas.
Se penchant il la saisit aux épaules et la secoua sans ménagement, l’appelant par son nom.
Ses yeux cillèrent.
— Lieutenant, cria-t-il, alors réveillez-vous, c’est un ordre. Un ordre… Un ordre !
Les yeux de la jeune femme s’ouvrirent à demi.
— Katel, sors du sommeil ! Lève-toi, tu m’entends ? dit-il de sa voix de commandement. Katel !
— Oui…
Sa voix était faible, comme si elle tenait une cuite monumentale.
Il la saisit par les épaules, la releva et entreprit de la faire marcher, dans la coursive. Son visage se crispa et elle porta une main hésitante à sa tête.
— Mal…
— Quoi ? Répète, Katel, répète !
Elle sembla faire un effort considérable.
— Mal au crâne…
Il n’hésita pas une seconde, la reprit sous les genoux et aux épaules et la ramena sur sa couchette. Puis, il fonça au petit bloc de soins. Il s’était déjà servi de ces blocs, en rentrant de missions avec des blessés récupérables.
O.K., il s’y reconnaissait. Il retourna chercher la jeune fille, de nouveau endormie, et l’amena sur la couchette, puis brancha les sondes sur son torse et son crâne. Les appareils se mirent à ronronner et un écran s’alluma. Le diagnostic tomba rapidement :
“Légère perturbation provoquant un dysfonctionnement du tronc cérébral. Application de l’injecteur 28, analgésique puissant.”
Il regarda la paroi et tira sur le cordonnet 28, extrayant le petit disque métallique qu’il posa près de sa nuque, pensant que l’action serait plus rapide ainsi, il y eut le petit sifflement habituel quand le produit fut injecté par la centaine de trous minuscules du disque. Il la saisit de nouveau et la ramena dans sa cabine.
Après quoi, il alla chercher Michelli. Là, il dut déployer toutes ses forces pour hisser le colosse sur ses épaules. Le diagnostic fut le même et il appliqua une nouvelle fois le disque avant d’entreprendre de ramener le Sarmaj sur sa couchette.
Ensuite seulement, il se rendit au carré et s’assit pour réfléchir. “Dysfonctionnement du tronc cérébral,” avait trouvé le petit ordi de soins, qu’est-ce que ça voulait dire ? Et pourquoi Katel et Michelli avaient-ils ressenti en même temps le besoin de regagner la Barge ?
Et pourquoi lui, ne ressentait-il rien, à part cette faim dévorante, absolument normale à cette heure ?
Il se leva et tira la languette de réchauffage du premier plat venu. Quand il l’eut terminé, il avait encore faim et en prépara un autre.
Combien de temps allaient-ils dormir encore ? Il était d’autant plus inquiet qu’il ne localisait pas le danger. C’était toujours comme ça, autrefois, quand on attendait une attaque, sans avoir d’information sur l’ennemi. L’attente était plus pénible que la peur. Insupportable, parfois.
Il retourna les voir. Michelli transpirait à grosses gouttes mais Katel avait un sommeil plus détendu, apparemment. Il s’assit au pied de la couchette du Sarmaj, songeant au passé. Il ne supporterait pas de perdre Michelli. Finalement le diagnostic de l’ordi n’était pas si réconfortant que cela. D’où venait cette perturbation du tronc cérébral ?
Et d’abord, qu’était-ce que le tronc cérébral ? Ce mot inconnu lui donnait des frissons.
Il finit par s’endormir comme ça, au pied de la couchette.
Ce fut la voix de Michelli qui le réveilla, des heures plus tard :
— Eh, Cap, qu’est-ce que tu fais là ?
Le grand Sarmaj était assis sur sa couchette, avec sa bouille habituelle.
— Comment te sens-tu ? demanda Ael immédiatement.
— Ben… bien. Pourquoi ?
— Mon salaud, tu m’as fait une de ces peurs. Quel est ton dernier souvenir ?
— Mon…
Il fronça ses sourcils épais et parut chercher.
— Dis donc, je ne me souviens plus très bien. C’est assez confus dans mon crâne.
Instinctivement, il avait porté une main à sa tête et sursauta.
— Oh Bon Dieu, ce mal de crâne ! Ça me revient, maintenant. C’est en revenant de la plage. En entrant dans l’ombre de la soute, j’ai ressenti un vrai coup de poignard au crâne, là. Je me demande comment j’ai pu venir dans ma cabine ; j’avais tellement mal que j’y voyais à peine. Dieu, qu’est-ce qui s’est passé, Cap ?
— Aucune idée. Et maintenant comment ça va ?
— Normal. J’ai faim.
Ael se leva.
— Amène-toi, on va voir Katel. Je vous ai trouvés dans le même état, hier soir.
Elle avait les yeux ouverts et fut surprise de les voir faire irruption dans sa chambre.
— Comment te sens-tu ? fit immédiatement Ael. Est-ce que tu as mal au crâne ?
— Mal au… Oh, c’est toi qui m’as soignée tout à l’heure ?
— Hier soir, plutôt. Réponds.
— Ça va. Un peu molle, mais ça va.
— Venez au carré. Il faut que vous mangiez et, quand vous aurez récupéré, on parlera.
Ils firent un repas normal sans manifestation chez Michelli et Katel.
Curieusement, ce ne fut qu’à la fin que Katel remarqua les cristaux.
— Dieu, d’où ça vient ?
— Je les ai découverts sur la colline ou la dune, je ne sais pas comment il faut appeler ça, répondit Ael. Je les ai trouvés beaux alors je les ai ramassés, comme ça.
Katel prit un rouge et l’éleva vers la lumière, le regardant en transparence.
— Une beauté, Ael ! Jamais rien vu d’aussi pur. C’est un magnifique objet de décoration. On va mettre un écarlate et un vert sur le coffre, là-bas.
Elle se leva et alla poser les plus gros dans les alvéoles destinées, en espace, à poser des gobelets.
— Bon, tu racontes, maintenant, Cap ? fit Michelli.
Il entreprit de faire le récit de ce qu’il avait fait après leur départ de la plage, puis de leur découverte, jusqu’au diagnostic et l’injection d’un analgésique.
— Mais qu’est-ce qui s’est passé ? dit Michelli.
— Pour moi, c’est le mystère, c’est pour ça qu’il faut qu’on en parle. Souvenez-vous de ce que vous avez mangé et bu aux deux derniers repas avant l’atterrissage.
Ça ne donna rien. Aucun point commun. Ils étudièrent toutes les possibilités qui leur venaient à l’esprit puis, en désespoir de cause, finirent par se séparer. Michelli et Katel se sentaient parfaitement bien, au point qu’ils allèrent faire une courte séance d’entraînement, dans la soute.
Ael remonta dans le poste étudier les cartes. Il se demanda s’ils feraient d’abord une reconnaissance vers la sortie de la faille, pour recaler le Directeur de vol, avant d’aller jeter un œil à l’autre planète, située quand même assez loin.
Oui, c’était la raison. Remettre la BDLD en état pour pouvoir reprendre un vol, au besoin. Il décida de les appeler par le réseau Com que Katel avait installé.
Ils arrivèrent peu après et il leur proposa d’aller caler le Directeur, ajoutant qu’ils reviendraient ensuite. Ils acceptèrent et se mirent chacun à son poste.
Le décollage ne présenta aucune difficulté et Ael prit le cap de la sortie de la faille, montant tout de suite à la vitesse luminique pour passer en Temps Relatif. Ael longeait la partie droite de l’amas qui formait un mur d’astéroïdes quand ils passèrent à la hauteur du soleil bleu.
— Eh, dites donc, il cogne, le petit jeunot. Les piles sont entièrement rechargées, tu te rends compte, s’exclama soudain Michelli.
— Bon Dieu… jura Katel. Ael est-ce que vos Barges sont équipées de Détecteurs de rayonnements avant le débarquement ?
— Aucune idée.
— Ça doit bien figurer dans les instructions générales de bord.
— J’ai utilisé les quartz pour monter les Props, fit Michelli, je les ai mis dans le bac de droite… tiens, les voilà.
— Ael, tu as besoin de l’ordi de calcul ?
— Non, vas-y.
Elle glissa un quartz dans son logement et tapa sur le clavier pour en connaître le contenu. Puis elle changea de quartz. Au quatrième elle eut un petit grognement.
— Oui, il y a un système.
Elle se leva et bascula plusieurs contacts au plafond et un cadran lumineux s’éclaira couvert de chiffres. Elle travailla un moment avant de lancer :
— Bon Dieu, j’ai trouvé ! C’est le soleil bleu. J’aurais bien dû y penser, ces soleils jeunes sont surpuissants. On n’a pas étudié les données de la planète, Ael. Il y a bien une couche d’ozone mais minuscule ! Rien qui protège des rayonnements durs. Ce foutu soleil bleu éjecte une quantité de saloperies de rayonnements durs. Depuis des X jusqu’à des B 53, des H4, etc. On en a été bombardé toute l’après-midi d’hier.
— Mais on se mouillait dès qu’on était sec, objecta Michelli.
— Il n’empêche qu’on a subi un bombardement costaud et on aurait peut-être eu davantage de dégâts sans ces bains.
— Mais pourquoi nous seulement ? reprit Michelli.
— Ah, ça, c’est le point faible de l’explication. Je ne sais pas, fît-elle.
Il y eut un silence rompu par Ael au bout d’un moment.
— Moi, je sais, lança-t-il, tranquille.
— Hein ?
— Mon crâne, dit-il. La plaque de métal qui a remplacé ma calotte crânienne. Elle m’a protégé. Il faut croire que c’est le dessus du cerveau qui est le plus sensible, malgré les cheveux. Bien la première fois que cette plaque me sert à quelque chose.
— Tu veux dire que du métal… commença Michelli.
— Réfléchis. Les instructions étaient claires, en opération ; on pouvait intervenir sur des planètes à rayonnements durs à condition de porter le ravine en permanence. Avec un casque, vous n’auriez rien subi. Et je suis sûr que vous pourrez vous baigner de nouveau en gardant le casque.
— Oui, c’est sûrement exact, confirma Katel. Les rayonnements sont arrêtés par l’alliage des casques. On le sait depuis déjà assez longtemps, ils ont été conçus pour ça. Et la plaque qu’on t’a posée n’est certainement pas en métal pur, on n’en utilise plus, mais plutôt en alliage.
— Eh bien, tu vois, Cap, ça me rassure, fit Michelli. Moi je l’aimais notre planète, j’aurais regretté de ne pas y retourner.
Ael ne dit rien mais se sentit, lui aussi soulagé. “Leur” planète, comme disait Michelli lui plaisait, à lui aussi. Et il était captivé par ces cristaux, si beaux, si purs.
— Katel je vais faire une plongée d’une journée, hors de l’amas. Prends un relèvement de notre position, pour le retour. À l’émersion, tu feras des relevés précis pour recaler le Directeur et tracer une carte vraiment exacte.
— En réalité, il faudrait qu’on fasse le tour de l’amas pour qu’on ait une carte avec les détails.
— On le fera plus tard ; pour l’instant, l’ordre d’urgence, c’est le recalage du Directeur de vol, pour que la Barge soit opérationnelle, et une carte précise de l’embouchure du fer à cheval et l’intérieur de la faille avec l’étoile bleue et les deux planètes, pour pouvoir venir y émerger en venant de loin… Dis-moi, est-ce que tu pourrais faire cette carte et en coder l’accès ?
— Oui, ça, ce n’est pas difficile. Tu te méfies ?
— Oui, je ne sais pas ce qui peut se produire, dans l’avenir, je ne veux pas qu’un autre s’approprie notre coin. Et tu enregistreras un quartz de cette carte. On le camouflera.
— Ça ne m’étonne pas que tu aies commandé le Premier Groupe de ta Brigade, fit-elle en secouant la tête, tu anticipes d’instinct, hein ?
— “Éviter l’imprévu, dans la mesure du possible,” c’est une règle. Bon, j’accélère pour pénétrer en Temps Relatif. Je vais prendre un cap droit devant, je ne pense pas qu’il y ait de danger sur une plongée aussi courte.
Pour la première fois, le passage se fit avec une secousse désagréable. Personne ne fit de commentaire. Michelli avait suivi les gestes d’Ael qui, s’en apercevant, entreprit de lui expliquer le procédé.
Pendant ce temps, Katel avait repris les quartz d’utilisation de la Barge et se plongeait dans leur étude.
À l’émersion, le lendemain, ils étaient en espace libre et des étoiles brillaient, très loin. Ael mit en marche l’ordi de Navigation Astronomique du Patrouilleur qui identifia chacune d’elle en une fraction de seconde. Normal pour un appareil de cette puissance. Katel s’était mise au travail, multipliait les relevés et calait, à chaque fois, le Directeur, au lieu de faire un calage global.
— Voilà, dit-elle au bout d’un moment, il n’a plus une fraction d’angle de décalage. J’enregistre la carte de l’amas et du secteur céleste, en même temps. J’ai déjà mis en mémoire le relèvement de notre plongée. Mais, à mon avis, on pourrait trouver un autre point plus à l’intérieur.
— O.K., fait demi-tour, dit Ael, j’ai envie de me baigner.
— Veinard, toi au moins tu pourras mettre la tête dans l’eau.
— Mais on va quand même prendre des précautions. On ne s’exposera plus le corps au soleil. On va se fabriquer des combin’s légères en tissu métallique pour protéger nos organes respiratoires aussi. On les enlèvera seulement pour entrer dans l’eau.
— Oui, c’est sûrement plus prudent, répondit Katel.
Dès qu’ils eurent fait 180° et replongé pour rentrer dans la faille, elle reprit les quartz et les passa dans l’ordi de calcul.
Ils émergèrent à six heures de Relatif plus à l’intérieur du fer à cheval et continuèrent vers la petite planète, toute proche.
— Michelli, dit Katel, au bout d’un moment, comment tu t’es débrouillé pour monter les condensateurs d’effet Tunnel sur la Barge. Il n’y a pas une part d’électronique ?
— Oh, je me suis borné à refaire exactement le même schéma que sur le Patrouilleur. Je les ai démontés l’un après l’autre, après avoir aménagé un logement à l’avant et à l’arrière de la Barge.
— Ça te vexerait si j’y jette un œil, au sol ?
— Pas du tout. Mais ils fonctionnent, tu l’as vu.
— C’est plutôt par curiosité. Tu as calculé la taille du schéma en fonction du volume de la Barge ?
— Hein ? Non… je connais pas ces trucs, moi, j’ai seulement refais la même chose. Ça a l’air de marcher, non ?
— Oui, ça marche. Mais j’aimerais jeter un œil, si ça ne te vexe pas ?
— Pas de problème. J’en profiterai pour démonter les capotages des Props et voir si mes soudures ont bien tenu.
— Vous en aurez pour longtemps ? demanda Ael ?
— Quelques jours, pour moi, répondit Katel. Pourquoi ?
— J’aimerai bien sortir le Mob et aller un peu en exploration.
— Tu emmèneras un casque, à tout hasard, pour qu’on puisse communiquer et aller te chercher avec le Plateau si tu ne te sentais pas bien ?
— Oui Lieutenant. Bon réflexe, fit-il, amusé.
— S’il-te-plaît, ne te paie pas ma tête !
— Crois pas ça, intervint Michelli. Il est toujours comme ça, en opération, tantôt chiant, tantôt rigolard. C’est son caractère.
Il faisait nuit quand ils se posèrent au même endroit que l’avant-veille et allèrent se baigner avant de manger rapidement, puis d’aller se coucher.
Au lever du jour, Ael était déjà debout et commença à découper une toile tissée de fils métalliques pour en faire trois sortes de ponchos ; puis il vérifia le Mob. Les deux autres le trouvèrent dans la soute en venant faire une petite séance d’entraînement.
— Tu pars déjà ? fit Michelli.
— Je vais d’abord me baigner et j’y vais. Je nous ai fait des protections contre le soleil, mettez-les.
— On garde la radio allumée, dit Katel. N’hésite pas à appeler au moindre signe anormal. En réalité, on devrait convenir d’un appel systématique, chaque heure. Ça va vite mal…
— D’accord. Je ferai attention, je te l’ai dit. À propos, j’ai emporté de quoi manger et boire. Si je ne rentre pas ce soir, je vous préviendrai.
Le bain fut délicieux. À cette heure-ci, l’eau était légèrement plus fraîche que dans la journée. Puis il enfila sa combinaison, et le poncho, enfilant un casque quand même et démarra le Mob qui monta à un mètre du sol, et démarra. Il commença par gravir la colline pour choisir une route.
Ce fut une journée passionnante, pour lui. Il n’avançait pas vite et le vent relatif lui rafraîchissait le visage. Régulièrement, il appelait la Barge, donnant sa position. Il tomba sur de vrais champs de cristaux. Enfin des champs… plutôt des endroits où il y en avait quelques-uns. Mais en terrain plat, cette fois, pas seulement sur les hauteurs. Bientôt, il ne choisit que les plus gros. Au milieu de l’après-midi il se rendit compte qu’il avait faim et stoppa pour manger.
Il aperçut une autre colline, au loin, pas loin de la mer et décida d’aller de ce côté. C’est là qu’il découvrit d’énormes cristaux, pas loin de dix centimètres, écarlates et verts. Leur teinte était d’ailleurs plus foncée. Comme si en grandissant ils changeaient de couleur…
Du coup, il transvasa les bacs du Mob pour faire un tri. Il ne conserva que les plus gros. La lumière avait sérieusement baissé quand il s’en rendit compte. Il devait se trouver à une centaine de kilomètres de la Barge et décida de dormir sur place.
Il enfila le casque pour appeler, par la radio intégrée. Il eut tout de suite Katel qui lui demanda comment il se sentait.
— “À merveille, répondit-il, j’ai une récolte incroyable de cristaux. Quelques-uns font pas loin de dix centimètres de hauteur et leur couleur est une merveille d’harmonie. Les rayons du soleil y font des reflets stupéfiants.”
— “Bien le premier officier poète que je rencontre, dit-elle en riant.”
— “Et vous, comment ça va ?”
— “J’ai démonté le condensateur Tunnel de l’avant. Les soudures sont correctes mais j’ai interrogé Michelli. Apparemment, sur le Patrouilleur, les contacts étaient fixés sur une plaque de métal beaucoup plus large et plus épaisse qu’il ne l’a fait. Probablement en raison de la plus grande taille du Patrouilleur. Je vais rétrécir l’installation de Michelli, pour voir.”
— “Tu cherches quoi ?”
— “Je n’en sais trop rien, c’est un essai. Je ne suis pas physicienne, je réfléchis par analogie. S’ils étaient disposés comme ça, avec cet éloignement, je veux dire, il doit y avoir une raison. Il me découpe une grande plaque et je vais toutes les refaire aux dimensions qu’il m’a indiquées, mais au rapport de la masse de la Barge. Ça m’occupe et ça m’intéresse.”
— “Pourquoi ?”
— “Votre Patrouilleur, c’était un classe Vector ?”
— “Non, plus gros, un HB 172. Ceux de la fin de la guerre. Ils avaient une autonomie énorme et ils étaient très rapides. Il doit y en avoir les caractéristiques en mémoire, quelque part, dans la doc Armée.”
— “Et beaucoup plus lourd que la Barge, par conséquent. Il faut que je réfléchisse. Tu ne m’as pas dit que tu avais embarqué également la pile de secours du Patrouilleur ?”
— “Oui, à tout hasard. Elle est au niveau supérieur, derrière les Props. Il y avait un grand logement vide.”
— “Ça t’ennuies si je la vérifie et que je la recharge ?”
— “À quoi tu penses ?”
— “À la mettre en parallèle, quand on plonge.”
— “Pourquoi ?”
— “Je ne sais pas. Une idée, comme ça… Tu n’en as jamais ?”
— “Si. Et je m’y fie toujours. Vas-y. Terminé pour moi. Je vous rappelle demain matin. Salut.”
— “Salut, Ael. Ouvre les yeux, hein ? Et, la prochaine fois, fais-moi plaisir, emmène une arme, à tout hasard. Terminé.”
Ael songea qu’elle avait raison et se demanda pourquoi il n’avait pas eu ce réflexe ? Il perdait ceux qu’il avait acquis pendant les années de guerre ? Sur le fond, ce n’était pas un mal, mais ici il aurait dû y réfléchir. En fait, sur une planète inconnue ils devraient tous porter un Rupteur de Cohésion Moléculaire de poing. Ce serait la sagesse. Ils ne connaissaient encore rien de cet endroit.
Au matin, il établit une liaison et annonça qu’il avait l’intention de s’enfoncer dans les sables, loin de la mer.
C’est un éclat de lumière, bref, mais intense, qui lui fit découvrir le cristal translucide. De loin, au moins dix kilomètres. Il ne quitta plus des yeux l’endroit qu’il avait repéré et alla droit dessus. Mais il mit dix minutes à le trouver, à demi-enfoui.
Un monstre, pour un translucide, huit centimètres de diamètre ! D’une beauté phénoménale. Il n’entrait pas dans les bacs arrière et il le fixa sur le siège, derrière lui. Il était assez lourd mais ça allait. Excité par sa découverte, il chercha longtemps sans en trouver d’autres.
Il aurait voulu appeler les autres pour le leur dire mais il se dit qu’il agissait comme un gosse. Néanmoins, il avait tellement envie de leur montrer sa découverte qu’il afficha le cap du retour, après avoir pris un relèvement automatique de cet endroit. Il rentra en faisant un arc de cercle vers l’intérieur des sables. Dès le départ, à plusieurs reprises, il découvrit des “nids” de cristaux écarlates et verts, comme il les appelait maintenant, et enregistra leur position également.
C’est un peu plus loin qu’il en découvrit deux, l’un à côté de l’autre, un vert et un écarlate. Il ne put s’empêcher de stopper pour les ramasser. Eux aussi étaient gros. Il les amena devant le soleil, les deux bras tendus et ne put s’empêcher de lâcher :
— Dieu que c’est beau !
Il les tourna pour faire jouer la lumière à l’intérieur quand la voix de Michelli jaillit, à côté.
— “Qui est-ce qui a parlé ? Tu es rentré, Cap ?”
Ael resta immobile de stupéfaction, les bras tendus. Puis son cerveau se remit à fonctionner.
— “Michelli, tu m’entends ?”
— “Ben, bien sûr, je t’entends, où es-tu, enfin ? Tu joues à cache-cache.”
— “Sarmaj, fit Ael, retrouvant sa voix d’autrefois. Réponds à mes questions : où te trouves-tu, précisément, en ce moment ?”
— “Dans le carré, Cap.”
— “À quel endroit du carré ?”
— “Assis à la table, le dos à la porte.”
Lui aussi reprenait ses réflexes de combattant et répondait avec précision. Ael se mit à réfléchir. L’idée qui lui venait était tellement folle qu’il avait de la peine à la formuler mentalement.
— “Sarmaj, monte dans le poste et dis n’importe quoi, puis reviens t’asseoir à la même place, et dis un mot.”
— “Reçu, Cap.”
Ael écouta. En vain.
Puis, la voix de Michelli revint, si nette que même la tension qui l’agitait était perceptible.
— “Je suis revenu, Cap. Tu vas bien ?”
— “Oui. Ça va… Si je comprends bien, tu tournes le dos aux cristaux que Katel a installés sur le coffre ?”
— “Affirmatif.”
— “Retourne-toi, prends-en un, le rouge, par exemple, et porte-le de l’autre côté de la porte que tu fermeras. Puis tu reviens t’asseoir et tu me parles. Il doit te falloir dix secondes. Commence à compter mentalement. Dix secondes plus tard, je te parlerai de nouveau, magne-toi.”
— “Reçu.”
Ael commença à compter, lui aussi. Dix, puis douze secondes s’écoulèrent en silence. Il attendit encore dix secondes et déclara :
— “Sarmaj, je ne t’entends pas, mais toi tu me reçois peut-être ? Dans ce cas, tu vas de l’autre côté de la porte, je vais continuer à parler sans arrêt. Si tu m’entends près du cristal rouge, tu le laisses sur place, tu reviens et tu parles devant le vert. Puis tu retournes au rouge. Si tu ne m’entends pas te répondre, ramène les deux cristaux à leur place, dans le carré. Exécution.”
Ael commença à raconter n’importe quoi jusqu’à ce que la voix de Michelli jaillisse.
— “Cap, je t’ai entendu avec le rouge. Je suis maintenant devant le vert… Je ne sais pas si tu me reçois, je vais chercher le rouge.”
Quelques secondes plus tard, sa voix se faisait entendre de nouveau.
— “Cap, tu m’entends ?”
— “Comme si tu étais à côté, Michelli. C’est fantastique. Le rouge est un récepteur naturel et le vert un émetteur ! Tu imagines ça ? Toi qui parlais d’affaires… On a peut-être trouvé quelque chose, mon vieux. Bon, je reprends ma route. Explique ça à Katel, c’est son domaine.”
— “Reçu.”
Avant de repartir, Ael fixa les deux cristaux devant lui entre les commandes du Mob et démarra. Cette fois il avait hâte d’arriver et fonça à plus de 150 km/h. Moins d’une heure plus tard, il stoppait près de la Barge.
Michelli et Katel étaient là.
— Alors, les associés ? Qu’est-ce que vous dites de ça ?
— Michelli est perdu dans les chiffres, dit Katel en riant. Il passe son temps à calculer combien de millions de Ters il va gagner !
— Il a tort, fit Ael en secouant la tête.
— Pourquoi ? demanda Michelli, dégrisé.
— Parce que je ne sais pas combien il peut se trouver de cristaux, sur cette planète, mais certainement pas assez pour satisfaire le marché, ne serait-ce que celui de la Fédération. Et je ne pense pas qu’on puisse les faire pousser comme des fruits. Il doit falloir un paquet de millénaires pour qu’ils deviennent aussi grands que ceux-là.
— Alors ? demanda le Sarmaj.
— Alors, ils valent sûrement quand même quelque chose, c’est vrai. Je ne sais pas encore comment. Peut-être les grandes Compagnies, par exemple, nous les achèteraient, s’ils ont une bonne portée. Mais l’armée en voudrait aussi, parce qu’il doit être impossible de les saturer électroniquement et de les griller. Et elle pourrait bien les déclarer matériels stratégiques, prendre tout le stock et fixer un prix arbitraire… Quoi qu’il en soit, une fois la récolte terminée, fini ! Alors on a intérêt à bien cogiter notre affaire.
— Tu ne crois pas qu’il faudrait commencer par récolter tout ce qu’on trouve ? proposa Michelli.
— Il y a plusieurs choses à faire. D’abord connaître leurs performances précises pour évaluer leur valeur. En récolter, c’est vrai. Mais je me demande si les rayonnements solaires ne sont pas pour quelque chose dans cette profusion et dans leur taille. Si c’est le cas, il faut ramasser aussi les petits et les exposer au soleil, comme des champs de légumes, si vous voulez. Pour l’avenir. Quel qu’il soit.
— Je pense que tu peux avoir raison, fit Katel, les rayonnements durs sont sûrement pour quelque chose dans leur croissance.
— En fait, Katel répondit Ael, c’est sur toi que je vais compter, maintenant. Il faut déterminer leurs capacités. Les étudier de manière scientifique, ce qu’on ne saurait pas faire, Michelli et moi. Savoir, notamment s’ils émettent tous sur la même fréquence, naturelle, ou si on peut les faire vibrer autrement et fonctionner sur ces valeurs de vibrations ? Si c’est le cas “naturel,” ils ne valent plus du tout le même prix, évidemment. Il n’y a plus de secret des communications. Ça élimine l’armée, ce qui est plutôt bien, mais les Compagnies ont aussi leurs petits secrets. C’est pourquoi il va falloir les étudier pour savoir ce qu’ils savent faire… Ah, ça n’a rien à voir, mais j’y pense : j’ai commis une faute grave, depuis notre arrivée. On ne sait rien de cette planète. Il y a peut-être des trucs dangereux. Michelli, tu vas chercher les trois RCM de poing et, désormais, tout le monde en porte au ceinturon avec une dizaine de recharges.
— Bien, Cap, dit le Sarmaj en pénétrant dans la Barge.
— Katel, poursuivit Ael, il faut d’abord connaître la portée des cristaux. Alors on va faire une plongée de trois jours, en Temps Relatif. On émettra, pendant le voyage, à tout hasard. À des heures précises, à la seconde près. Et on testera, à chaque fois, des cristaux de poids différents. Ça nous donnera une idée de la portée maximale de chacun.
— Comment tu veux faire ça ?
— Michelli restera là et tu viendras avec moi en Barge pour faire les essais.
— On le laisse seul, au sol, pendant six jours, aller et retour ? s’inquiéta-t-elle.
— On va dresser un abri et il portera son poncho. Il a connu pire, rassure-toi. Pour nous, il faudra ensuite tester les cristaux, sur leur fréquence naturelle d’abord pour vérifier leur portée, puis avec des fréquences de vibrations précises, et pour ça, je compte sur toi.
— Bien, je vais avoir besoin de matériel électronique ; je peux puiser dans le stock de ce que tu as ramené du Patrouilleur.
— Bien sûr. Tu penses à quelque chose de précis ?
— Si on anime un quartz d’un courant électrique constant, il va se mettre à vibrer et sa fréquence d’émission ou de réception doit changer. Il faut que je fabrique un appareil, deux, plutôt, pour moduler un courant de façon absolument précise ! identique.
— Compliqué ?
— Non. C’est du travail de débutant en électronique. Mais ça permettra de gagner du temps pendant ce voyage. On fera des essais d’abord nature, puis en faisant vibrer les cristaux, en les faisant traverser par un courant électrique. Mais il faut impérativement que les deux cristaux soient animés des mêmes vibrations, donc faire deux appareils donnant exactement les mêmes valeurs, comme je l’ai dit. Un qui restera ici, avec Michelli, et l’autre à bord.
— Vraiment long à construire ?
Elle le regarda fixement.
— C’est pas vrai… si je te devine, tu veux que je m’y mette maintenant, c’est ça ?
— Tu accepterais ?
Elle secoua la tête, amusée.
— Ah toi… jamais vu un type aussi impatient ! O.K., je m’y mets. Ce sera prêt ce soir, je pense.
— On pourra partir demain matin ?
— Hein ?… enfin j’aurais dû le deviner. O.K., O.K.
Michelli revenait avec trois ceinturons. Il en tendit un à Katel.
— Alors c’est ça vos fameux RCM de poing ? Vous étiez beaucoup en avance sur nous, dans ce domaine. On en avait de gros mais les modèles individuels, de combat, ou de poing n’étaient pas fiables.
— C’est pour ça que nos Brigades d’Assaut ont fait autant de dégâts, sur la fin, en opérations ponctuelles, répliqua Ael. On avait une puissance de destruction très supérieure à la vôtre. Mais, paradoxalement, vos RCM lourds étaient bien plus puissants que les nôtres. Simplement parce qu’au départ, on a travaillé sur des armes individuelles et vous sur des armes lourdes. Et que les applications ne sont pas les mêmes, je crois savoir.
Katel boucla le ceinturon.
— Comme au combat, fit Ael, on ne s’en sépare pas, même à bord, sinon on oubliera de les prendre, un jour ou l’autre.
— Je vais te montrer comment ça marche, fit Michelli qui arrivait. On va faire quelques tirs.
— Désolé, mais on n’a pas le temps. Katel a du boulot urgent. On part demain matin, elle et moi. Tu vas rester ici, dans un campement provisoire. Il faut faire des tests sur les cristaux, et j’ai besoin de toi ici.
— D’accord Cap.
— On va être absent pendant six jours. Je te laisse le Mob, à tout hasard. Aujourd’hui construis-toi un abri efficace. Tu te conduis comme en opération, sur le qui-vive. Je ne plaisante pas, Sarmaj, c’est un ordre ! Je ne veux pas te perdre. Tu prendras aussi un Com traditionnel, par sécurité.
— Compris, Cap, répondit Michelli, le visage sérieux.
— Katel te donnera un programme d’essai, avant de partir. Exécute-le à la lettre. Il sera question d’heures d’émissions. Il faut les respecter à la fraction de seconde près. C’est important.
— Compris, Cap, répéta le grand gars.
— À priori, ton pire ennemi est le soleil, alors fais gaffe.
— Oui, Cap. Dis, j’ai pensé à un truc. Si ta calotte métallique te protège, pourquoi on en mettrait pas, nous aussi ? Les casques, c’est vraiment pas marrant à porter en permanence, tu sais… Si ça marche sur toi, on devrait être protégé de la même manière. Je vais m’emmerder, moi, tout seul ici. Si je pouvais débarquer un peu de matériel je fabriquerais des protections aux mesures de nos crânes à nous. Ce serait quand même plus agréable, pour vivre dehors.
Ael réfléchit un instant. Sur le principe, il avait peut-être raison.
— D’accord, prends à bord ce qu’il te faut.
— Ce sera prêt à votre retour.
— O.K. Tu commences par te construire un abri. Si je me souviens bien, en dehors des tentes métalliques tout temps, il y avait des abris démontables de P.C., dans les Barges, ce serait mieux, surtout en le recouvrant d’une tente. Allez, au boulot, Sarmaj.
Ael passa le reste de la journée à repeser les cristaux pour les classer par lots de poids comparables. Michelli, très sérieux prit les mesures du crâne de Katel et lui demanda de prendre les siennes…
Ael piaffait. Il avait hâte d’être au lendemain…